LANGUES, ÉCRITURES, et CIVILISATIONS ANCIENNES

Concernant le linéaire A, le but est triple :
- Montrer qu’il y avait déjà une présence mycénienne / grecque en Crète, dès le Minoen Récent I, et que ces Mycéniens / Grecs utilisaient l’écriture linéaire A pour transcrire leur propre langue.
- Montrer qu’il y avait également une présence hourrite en Crète à l’époque minoenne.
- Vérifier si le linéaire A note aussi une langue sémitique (le cananéen ancien), opinion de Luciano Pavarotti.
Concernant les civilisations anciennes, ce blog ne se limite pas à la minoenne.

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dimanche 22 novembre 2009

Les écritures crétoises

















Pour avoir accès aux documents originaux concernant les différentes écritures crétoises :

-OLIVIER, J.-P., Corpus Hieroglyphicarum Inscriptionum Cretae / Jean-Pierre Olivier et Louis Godart; avec la collaboration de Jean-Claude Poursat, dans Études Crétoises 31, École française d'Athènes, Athènes, 1996 (CHIC).

-GODART, L., et OLIVIER, J.-P., Recueil des Inscriptions en Linéaire A (GORILA), vol. 1-5, dans Études Crétoises XXI, 1-5, École française d'Athènes, Paris, 1976-1985.

-CHADWICK, J., GODART, L., OLIVIER, J.-P., KILLEN, J.T., SACCONI, A., Corpus of Mycenaean Inscriptions from Knossos (CoMIK), I (1-1063); II (1064-4495); III (5000-7999); IV (8000-9947), *, puis Cambridge et Pise, 4 vol., 1986-1998 : publication monumentale des tablettes de Knossos en linéaire B; pour chaque tablette ou fragment : une photographie, un dessin et une transcription; les notes sont purement textuelles; index général dans le tome IV.

Les écritures crétoises

Avant d'aborder, à proprement parler, le chapitre consacré aux différentes écritures crétoises, il importe de savoir que de véritables systèmes d'écriture logo-syllabiques sont apparus en Orient. Pour des raisons historiques aussi bien que pratiques, l'Égypte et les contrées adjacentes d'Afrique aussi bien que celles qui entourent la mer Égée (et cela pour au moins la période pré-hellénique) doivent être incluses dans l'orbite des civilisations orientales. Dans la région ainsi délimitée, nous trouvons sept systèmes d'écriture originaux et pleinement élaborés, qui pourraient revendiquer a priori une origine indépendante des autres [1] :

-Le système sumérien en Mésopotamie, 3100 av. J.-C. - 75 après.
-Le proto-élamite en Élam, 3000-2200 av. J.-C.
-Le proto-indien dans la vallée de l'Indus, vers 2200 av. J.-C.
-Le chinois en Chine, 1300 av. J.-C. - jusqu'à nos jours.
-L'égyptien en Égypte, 3000 av. J.-C. - 400 après.
-Le crétois en Crète et en Grèce, 2000 - 1200 av. J.-C.
-Le hittite en Anatolie et en Syrie, 1500 - 700 av. J.-C.

La Crète minoenne a été un véritable laboratoire d'écritures. On y a trouvé pas moins de quatre écritures différentes [2] :

-Le "hiéroglyphique" crétois (l'appellation rigoureuse étant Écriture crétoise des Premiers Palais), de 2100 à 1450 av. J.-C.
-Le linéaire A, entre 1750 -1325 av. J.-C.
-Le disque de Phaistos, n'importe quand entre 1800 et 1600 av. J.-C.
-La hache d'Arkalochori, vers environ 1600 av. J.-C.

[3] Dans sa phase la plus ancienne, que l'on peut dater des années 2000-1650, l'écriture est pictographique, c-à-d qu'elle consiste en signes représentant des objets, généralement faciles à reconnaître, tels qu'une tête, une main, une étoile, un arc, et ainsi de suite. Cette écriture est celle des sceaux de pierre. Evans en trouva aussi quelques exemples sur des barres et sur des blocs d'argile employés pour cacheter. Il appela ce style "hiéroglyphique", car les signes étaient du même type que l'ancienne écriture pictographique de l'Égypte.

La phase suivante se place, en gros, entre 1750 et 1450, peut-être a-t-elle commencé un peu plus tôt. Comme les pictogrammes sont ici réduits à de simples traits, Evans la nomma linéaire A. Cette écriture se trace généralement (mais pas toujours) de gauche à droite. On en a trouvé des exemples un peu partout en Crète mais aussi à Théra, Milet, et peut-être même en Israël. Nous avons aussi un certain nombre d'inscriptions en linéaire A sur des objets de bronze et de pierre, ce qui est absolument sans exemple pour le linéaire B. Mais le plus important ensemble de textes en linéaire A est une collection d'environ 150 tablettes d'argile découvertes dans un palais situé à quelques kilomètres de Phaistos, dont on ne connaît pas le nom antique, et qu'on appelle Haghia Triada à cause d'une chapelle toute proche dédiée à la Trinité.

Vers 1450, avec l'invasion des Achéens, le linéaire A a été remplacé par une forme modifiée de cette écriture, qu'Evans nomma linéaire B. Dans la limite des témoignages recueillis, nous pouvons seulement dire que le linéaire A semble disparaître vers 1450 [4]. Nous pouvons constater aujourd'hui que le linéaire B est le résultat d'une adaptation du linéaire A à l'écriture de la langue grecque. Il faut remarquer aussi que tous les essais pour déchiffrer le linéaire A reposent sur le postulat de l'attribution des valeurs phonétiques du linéaire B aux signes correspondants du linéaire A. Si un examen superficiel fait voir des ressemblances, les divergences entre les systèmes n'échappent pas à un oeil exercé; l'une d'elles est évidente : les lignes-guides, les traits horizontaux qui séparent les lignes d'écriture sur les tablettes en linéaire B manquent ordinairement en linéaire A. Une autre concerne les systèmes numériques : il y a de grandes ressemblances générales, mais la figuration des quantités fractionnaires est tout à fait différente. Le linéaire A possède un système de signes fractionnaires qui n'est pas entièrement élucidé ; le linéaire B n'a pas de signe de ce type, il note les fractions par des nombres entiers d'unités plus petites, comme livres, shillings et pence en Angleterre, comme pistoles, écus, livres et sols, jadis en France. De même pour les poids : tonnes, quintaux, kilos et livres français ; quintaux, quarters et pounds anglais. Les divergences entre les deux systèmes de mesure ont été établis avec une parfaite netteté par le professeur E. L. Benett Jr, en 1950. Si le linéaire A est une écriture minoenne, le linéaire B, lui, est une écriture mycénienne.

Aucune étude relative à la Crète ne serait complète sans mentionner le disque de Phaistos. Cet objet célèbre fut découvert en 1908 par les Italiens qui fouillaient le palais minoen de Phaistos, dans le sud de la Crète. C'est un disque plat, d'argile cuite, d'un diamètre de 16,5 cm environ ; il a reçu sur ses deux faces un texte qui s'enroule en spirale, de la périphérie au centre, dans le sens des aiguilles d'une montre, et couvre toute la surface du disque. Les signes sont pictographiques, écrit Chadwick, au nombre de 45, et leur succession se lit de droite à gauche. Le trait le plus remarquable de cettte pièce est la technique de l'exécution : chaque signe a été empreint sur l'argile molle au moyen d'un type ou poinçon gravé spécialement pour cet emploi. Il est visible que l'opération ne s'est pas faite d'un seul coup, comme on imprime un bloc de lignes composées en typographie : on a dû employer un à un chacun des poinçons : il a suffi d'en avoir 45 pour exécuter toute l'inscription qui contient près de 250 signes. Cet usage du type, c'est-à-dire d'une forme normalisée sur un support mobile, anticipe remarquablement sur l'invention de l'art de la gravure et de l'imprimerie. [5] Le disque de Phaistos a continué à attirer des amateurs passionnés, mais on ne sait pas encore si c'est une variante stylisée de l'écriture hiéroglyphique de Crète ou une importation. Il a été aussi démontré que le nombre total des signes de l'écriture dépasse les 45 effectivement employés ici ; des statistiques donnent 55 comme grandeur probable du système de signes, et même des chiffres plus élevés ne sont pas exclus. Ainsi l'inférence que c'est aussi une simple écriture syllabique est confirmée. Le disque de Phaistos a été retrouvé auprès d'une tablette en linéaire A, la PH 1 [6], non datée.

Notes

[1] GELB, I.-J., Pour une théorie de l'écriture, The University of Chicago Press, Chicago, 1952 (sec. éd. 1963), pour la trad. franç., Flammarion, 1973, p. 70.
[2] DUHOUX, Y., Histoire des Écritures orientales, Louvain-la-Neuve, cours GLOR 2804 du 19/12/06.
[3] CHADWICK, J., Le déchiffrement du linéaire B. Aux origines de la langue grecque, traduit de l'anglais par Pierre Ruffet. Introduction de Pierre Vidal-Naque, dans Bibliothèque des Histoires, (Cambridge University Press, 1958), Gallimard, 1972, p. 28-45. Tout ce qui est écrit à partir de là jusqu'à l'avant-dernière ligne de mon texte est de Chadwick.
[4] En ce qui concerne le linéaire A, Chadwick écrit qu'il semble disparaître vers 1450 av. notre ère. On en trouve néanmoins encore une trace en 1325, ainsi qu'en Israël vers 1200 av. J.-C.
[5] CHADWICK, J., op. cit., p. 228.
[6] FACHETTI, G. M., - NEGRI, M., Creta Minoica. Sulle tracce delle più antiche scritture d'Europa, in Biblioteca Dell'Archivum Romanicum, serie II : Linguistica, 55, Leo S. Olschki Editore, 2003, p. 159.

Les images :

Vous trouverez dans l'ordre d'apparition (de haut en bas) :
-Une page d'écriture "hiéroglyphique" crétoise (CHIC, p. 276).
-Un sceau "hiéroglyphique" crétois (SAKELLARAKIS, J. A., Crète. Archanès : les fouilles / Prof. J. A. Sakellarakis - Dr. E. Sapouna-Sakellaraki, trad : Luc Sachinis, Athènes, 1991, p. 102).
-Une tablette en linéaire A (HT 85b, GORILA 1, p. 130).
-La "cuillère de Troullos" avec bord en inscription linéaire A (SAKELLARAKIS, J. A., Crète. Archanès : les fouilles / Prof. J.A. Sakellarakis - Dr. E. Sapouna-Sakellaraki, trad. : Lus Sachinis, Athènes, 1991, p. 52).
-Une page d'exemples de tablettes et de barres inscrites en linéaire B (Ministry of Culture - The National Hellenic Committee-ICOM, The Mycenaean Word. Five centuries of early greek culture. 1600-1100 BC, Athens, 1988, p. 205).
-Un détail (le texte) de la hache d'Arkalochori (DUHOUX, Y., Le disque de Phaestos : archéologie, épigraphie, éd. critique, index, préface de Michel Lejeune, Louvain, Peeters, 1977, p. 80).
-La hache elle-même (ROBINSON, A., Lost languages : the enigma of the world's undeciphered scripts, London, BCA, 2002, p. 306).
-La tablette en linéaire A (PH 1, GORILA 1, p. 286) à côté de laquelle a été retrouvé le disque de Phaistos.

Remarque : J'avais déjà publié cet article antérieurement, sur le site du disque de Phaistos de Philippe Plagnol, mais celui-ci, en déménageant son site à une autre adresse dit l'avoir perdu. Plus exactement, ce jeune homme avait supprimé mon article s'en même m'en avertir et je me suis retrouvée devant le fait accompli.

Remarque 2 : Pour empêcher la redirection de mon article vers une autre personne, sur internet, je me vois contrainte de remplacer, dans ma bibliographie, le nom de la capitale italienne par un astérisque.

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Oksana Lewyckyj
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