Mon blog sur le linéaire A mais pas seulement. Oksana Lewyckyj, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique.
LANGUES, ÉCRITURES, et CIVILISATIONS ANCIENNES
Concernant le linéaire A, le but est triple :
- Montrer qu’il y avait déjà une présence mycénienne / grecque en Crète, dès le Minoen Récent I, et que ces Mycéniens / Grecs utilisaient l’écriture linéaire A pour transcrire leur propre langue.
- Montrer qu’il y avait également une présence hourrite en Crète à l’époque minoenne.
- Vérifier si le linéaire A note aussi une langue sémitique (le cananéen ancien), opinion de Luciano Pavarotti.
Concernant les civilisations anciennes, ce blog ne se limite pas à la minoenne.
Copyright © Oksana Lewyckyj
dimanche 29 mai 2011
Yves Duhoux : Écritures et langues de Grèce et Chypre avant l'alphabet. Résumé de la conférence du 11 mai 2011
LINÉAIRE B
Lorsque je suis arrivée à la conférence, Michael Ventris (1922-1956), le déchiffreur du linéaire B, et Emmett Bennett, qui avait fait sa thèse en 1947 sur les tablettes de Pylos, se connaissaient déjà. Bennett publie son livre The Pylos Tablets en 1951, à partir de photographies des 600 tablettes découvertes, en 1939, par Blegen. Ventris les reçoit, et en 1951, toujours, rédige ses notes de travail, les polycopie, et les envoie. Ce sont les fameuses Work Notes, grâce auxquelles nous avons le moyen de suivre toute l’histoire du déchiffrement du linéaire B. Entre 1951 et 1952, Ventris expédie ses recherches en 176 pages grand format à un groupe restreint de spécialistes. Au point de vue méthode de travail, il fait le choix d’Alice Kober, c’est-à-dire la comparaison minutieuse et ambitieuse de toutes les alternances de signes. Ventris essaye d’en voir le sens : certains signes seraient-ils des mots, un verbe, etc. Il se trompe régulièrement mais a le mérite d’être capable d’amender ses erreurs.
Comment, aussi, injecter des valeurs phonétiques à ce syllabaire, car c’est bien d’un syllabaire qu’il va s’agir.
Il existe une écriture à Chypre. Elle a été interprétée dans les années 1870 et les premiers pas ont été faits par un anglais, George Smith. La clef du succès se trouva dans des inscriptions bilingues, chypriote et phénicien, employant l’écriture chypriote et l’alphabet grec. Chaque signe représente, non une lettre, mais une syllabe entière. Ventris s’aperçoit que dans le syllabaire chypriote, des signes sont très semblables au linéaire B, identiques, ou extrêmement proches. Il se demande, alors, s’ils pourraient avoir la même valeur phonétique.
En janvier 1952, paraît l’édition des 3000 tablettes de Knossos qu’Evans avait trouvées.
En juin 1952, Ventris se rend compte qu’il est capable de lire de façon satisfaisante des toponymes crétois. Il découvre que ko-no-so, c’est Knossos, et a-mi-ni-so, Amnisos. Il découvre également des mots déclinés, et que to-so / to-sa c’est le mot grec τόσος, τόσον, ou τόσα qui veut dire "total".
Persuadé d’être là, face à une langue pré-hellénique, Ventris ne songe tout d’abord pas au grec mais à de ... l’étrusque. Plus il essaye d’y trouver de l’étrusque, plus les mots grecs jaillissent : khrusoworgos (χρυσοFοργός) = χρυσουργός, l’orfèvre ; po-i-me = ποιμήν, le berger, …
Invité à parler à la BBC des tablettes d’Evans, il est entendu par John Chadwick qui, convaincu, le félicite et lui écrit qu’il est prêt à collaborer avec lui. Ici s’ajoute une précision :Ventris avait servi dans l’aviation et non pas dans la cryptographie. Seul Chadwick avait fait la guerre dans la cryptographie.
L’année dernière, on a encore découvert des tablettes en linéaire B : plus exactement, en 2009, près de Sparte, en Laconie, et en 2010, à Iklaina, en Messénie (voir image n°3), et à Xirokambi, en Laconie.
CHYPRE
Vers 1450 av. J.-C., au point de vue position, Chypre est une île carrefour. Il y a la côte syro-palestinienne où se trouve la Phénicie. Au nord de cette zone, Ugarit. Une des cinq écritures chypriotes pré-alphabétiques provient de là.
Emploi de l’alphabet grec à Chypre
Il y a un raz-de-marée alphabétique, dernier gadget technique à la mode, que chacun veut avoir. Toutefois, lorsque l’alphabet grec apparaît, les Chypriotes, eux, ont une grande réticence à son égard. Le bronze d’Idalion (~ 478-470 av. J.-C.), qui est un contrat passé, en grec, entre la ville d’Idalion, son roi, et un médecin et sa famille, est écrit au moyen du syllabaire chypriote et non au moyen de l’alphabet grec. L’alphabet grec n’avait pourtant que 24 lettres au lieu des 55 syllabogrammes du syllabaire chypriote. Parmi les causes possibles de ce rejet, y avait-il une incapacité congénitale des Chypriotes à faire comme les autres ?
Il se trouve que Chypre avait une écriture bien avant l’apparition de l’alphabet grec. Ces écritures pré-alphabétiques, bien enracinées, faisaient partie de la carte d’identité chypriote. Ses habitants ont regardé l’alphabet grec comme un corps étranger et ont conservé leur écriture propre, marque d’ethnicité.
Les 5 écritures pré-alphabétiques de Chypre
1) Le chypro-minoen 0, sur fac-similé : Datation : 1600-1500 av. J.-C. Le document est brisé, il n’en reste que 3 lignes. 5,8cm de hauteur, 7,7cm de largeur, 3,5cm d’épaisseur, deux caractères (+日 ) sur le côté qui se retrouvent également sur la face. Ces deux caractères servaient de référence pour identifier la tablette quand elle était rangée. Écrits par deux mains différentes, deux personnes, l’une ayant rédigé le document principal, l’autre la référence. Ce chypro-minoen 0 comporte plus ou moins 50 signes. Texte non-identifié et non compris.
2) Le chypro-minoen I (Musée archéologique de Nicosie) : cylindre, 4cm de diamètre, 5,5cm de largeur, 18 lignes d’écriture. Plus de 1000 signes au total, l’écriture a 72 caractères différents. Apparaît à partir de 1600, disparaît en 950 av. J.-C.. S’emploie sur toutes sortes d’objets, sur des boules d’argile (de la taille des cochonnets de pétanque). On n’a réussi ni à déchiffrer, ni à comprendre ces textes.
3) Le chypro-minoen II : Entre 1190 et 750 ? av. J.-C. [ou 1230-1050 av. J.-C. ?], 61 caractères différents. C’est un syllabaire mais différent du chypro-minoen 0 et du chypro-minoen I. On n’a réussi ni à identifier l’écriture, ni à en comprendre les textes.
4) Le chypro-minoen III, à Ras-Shamra, Ugarit : Entre 1320 et 1100 av. J.-C. 62 signes différents. C’est un syllabaire différent du chypro-minoen II car les signes sont distincts. Il y a eu des tentatives de déchiffrement mais non retenus par la communauté scientifique.
5) Le chypriote classique : Ce 5ème syllabaire a été déchiffré entre 1871 et 1874 grâce à une découverte, faite en 1869, d’un bilingue grec-phénicien contenant 3 lignes, et même 3 lignes et demi. Le texte phénicien avait : En la 4ème année du règne de Milkyaton, roi de Kition et d’Idalion,… Le texte grec disait à peu près la même chose.
Lorsqu’en 1869, on a trouvé cette tablette, on ne la comprenait pas, mais un anglais, George Smith (cité plus haut), faisait des progrès en déchiffrement et identifia deux mots grecs désignant le roi : pa-si-le-o-se et pa-si-le-u-se (βασιλέως et βασιλεύς). Il ne savait pas, à ce moment-là, que le reste était grec aussi. Sur les 27 signes syllabiques à lire, Smith en avait 15 de corrects. C’est seulement trois années plus tard que le chypriote classique sera déchiffré par les Allemands.
Le chypriote classique est composé de 55 signes. Tous représentent une syllabe : soit une voyelle seule, soit une consonne suivie par une voyelle. Cette écriture n’a pas le moindre signe pour noter une consonne seule, d’où beaucoup de difficultés pour écrire la langue grecque. La plus ancienne inscription attestant l’usage de la langue grecque à Chypre est une broche en bronze d’un peu moins d’un mètre de long, ustensile de cuisine servant à embrocher de la volaille ou de petits animaux. Écrite de gauche à droite, au moyen du syllabaire chypriote, sa datation est estimée à 1050 ou à 950 av. J.-C. Elle a été trouvée dans une tombe de Palaipaphos et porte le mot o-pe-le-ta-u qui est le génitif singulier d’un nom de personne, « Opheltes ». Ce génitif singulier est un génitif d’appartenance et signifie donc "appartenant à Opheltes" (voir image n°5). Aux environs de l’an 1000 av. J.-C., les Chypriotes étaient les seuls à posséder une écriture grecque.
Au sujet de la question de l’origine de l’alphabet grec, l’un des endroits proposés est justement Chypre. Monsieur Duhoux n’y croit pas parce que le chypro-minoen III, qui est un syllabaire, est utilisé à Ugarit entre1320 et 1100 av. J.-C., or, à cette époque, le royaume d’Ugarit avait déjà un alphabet, l’alphabet cunéiforme d’Ugarit. Les Phéniciens s’installent à Chypre à partir du10ème siècle, la plus ancienne inscription en grec alphabétique date du 9ème siècle av. J.-C., mais à Chypre, la plus ancienne inscription en grec alphabétique trouvée date, elle, du 6ème siècle av. J.-C. Chypre a du retard par rapport aux autres. Ce n’est qu’à l’extrême fin du 3ème siècle av. J.-C. que l’alphabet grec y est adopté. Il n’a donc pas été inventé à Chypre. A Louxor, en Nubie, Italie, Syrie, Phénicie, il y a des inscriptions que les Grecs ont tracées.
Difficultés de notation syllabique des consonnes seules :
Le grec a énormément de consonnes finales, ex. : νέος.
Pour écrire le sigma final, le syllabaire chypriote utilise le signe "se", avec la voyelle finale "e" qui compte pour du beurre. Pour noter τρίτος, il écrira ti-ri-to-se, avec en plus le premieri qui sera également une voyelle morte et ne se prononcera pas.
En chypriote, existent le P, le T, et le K suivis de voyelles, mais pas le Β, le Δ, et le Γ, ni le Φ, le Θ, et le Χ. On fait une approximation. Selon les cas, ka = κα, γα, ou χα. On écrira ka-la-ko-se pour χαλκός (cuivre) et pa-si-le-u-se pour βασιλεύς (roi).
En français, nous avons aussi des lettres qui ne se prononcent pas. Quand nous écrivons le mot (eau), faut-il prononcer /e/ /a/ et /u/ ? Quand nous écrivons (est), faut-il prononcer le /s/ et le /t/ ? Et pour le mot (femme), le premier /e/ se prononce-t-il /e/ ?
L’étéochypriote
L’étéochypriote est une langue non grecque de Chypre. Était-elle celle des descendants des groupes humains qui employaient les écritures chypro-minoennes ? L’étéochypriote se lit facilement mais, malgré la bilingue, le déchiffrement est extrêmement difficile.
Ex. : la bilingue étéochypriote (qui est aussi un bi-script), du 4ème siècle av. J.-C. en étéochypriote + alphabet grec. Le texte grec a : Ἡ πόλις ἡ Ἀμαϑουσίων Ἀρίστωνα // Ἀριστώνακτος εὐπατρίδην // "La ville des Amathousiens (honore) Ariston, (fils) d’Aristonax, de noble naissance".
La bilingue grecque est très courte. Elle ne reprend pas tout l’étéochypriote et ne donne que des renseignements très limités comme les noms des personnages (Ariston = a-ri-si-to-no-se). Pour le reste, on ne peut faire que des conjonctures. Interprétations par de l’hourrite, de l’urartéen, du sémitique,…
Jusqu’à la fin du 3ème siècle av. J.-C., le syllabaire chypriote reste en usage dans l’île.
La jarre inscrite en linéaire B et mise en image n°1 est extraite de DEMAKOPOULOU, K. (ed.), The Mycenaean World. Five centuries of early greek culture. 1600-1100 BC. National Archeological Museum 15 december 1988 – 31 march 1989, Greek Ministry of Culture – The National Hellenic Committee – ICOM, Athens, 1988, p. 207.
En image n°2, la tablette de Pylos qui a servi à confirmer le déchiffrement du linéaire B provient de CHADWICK, J., Le déchiffrement du linéaire B. Aux origines de la langue grecque, traduit de l’anglais par Pierre Ruffel, introduction de Pierre Vidal-Naquet, dans Bibliothèque des Histoires, Gallimard, 1972, p. 131.
En image n°3, la tablette en linéaire B trouvée à Iklaina en 2010 a été prise sur le site
http://www.aegeanscripts.org/index.php?option=com_content&view=article&id=98:new-linear-b-tablet-found-at-iklaina&catid=80Itmid=473
Voir également : https://iklaina.wordpress.com/the-site-2/the-site/linear-b-tablet/
Le fragment d’une tablette cuite d' Enkomi (écrite en chypro-minoen) mis en image n°4, et l’inscription o-pe-le-ta-u mise en image n°5, proviennent tous deux de KARAGEORGIS, V., Early Cyprus. Crossroads of the Mediterranean, The J. Paul Getty Museum (Los Angeles), Milan, 2002, p. 19 (la tablette) et p. 127 (la broche inscrite). L’ajout en bleu sur l’image n°5 est une addition de ma part.
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Je suis une orientaliste diplômée d'un master universitaire (master 120) en Langues et lettres anciennes, orientation orientales, à finalité approfondie. Avant d'entreprendre ces études, j'avais déjà réussi brillamment, à l'université, les niveaux supérieurs d'autres langues anciennes que celles figurant sur ce diplôme.
J'ai deux fils : Sébastien Mercier, assistant vétérinaire (Martinets) à Frankfurt am Main (Allemagne) et Gabriel Mercier, post-doctorant à l'Université de Montréal, UDeM (Canada). Remariée à Pavarotti, ténor colorature ayant fait une carrière de 45 ans à l'Opéra, j'aime, moi aussi, le chant et l'Opéra. Je suis également soprano colorature.
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