LANGUES, ÉCRITURES, et CIVILISATIONS ANCIENNES

Concernant le linéaire A, le but est triple :
- Montrer qu’il y avait déjà une présence mycénienne / grecque en Crète, dès le Minoen Récent I, et que ces Mycéniens / Grecs utilisaient l’écriture linéaire A pour transcrire leur propre langue.
- Montrer qu’il y avait également une présence hourrite en Crète à l’époque minoenne.
- Vérifier si le linéaire A note aussi une langue sémitique (le cananéen ancien), opinion de Luciano Pavarotti.
Concernant les civilisations anciennes, ce blog ne se limite pas à la minoenne.

Copyright © Oksana Lewyckyj

lundi 28 juin 2010

HT 31 (linéaire A)











La tablette en linéaire A, HT 31, trouvée à Haghia Triada (Crète), datation MR IB (vers 1500-1450 av. J.-C.), possède 5 vases surmontés, chacun, d’une inscription :

1) QA-PA3, suivi du chiffre 10 (= un trait horizontal) = kappu (akkad.) = qa-pà ( כף ) = bassin, vase.
2) SU-PU, suivi du chiffre 10 = su-pu (akkad. récipient pour le vin) = סף = bassin, vase, récipient à usage cultuel, jarre.
3) KA-RO-PA3, suivi du chiffre 10 = karpu (akkad.) = pot, récipient en faïence.
4) SU-PA3-RA, suivi du chiffre 300 (= 3 cercles) = hébreu et ougaritique = ספל = récipient métallique, coupe.
5) PA-TA-QE, suivi du chiffre 3000 (= 3 cercles ayant chacun des bâtonnets disposés en forme de croix).

Les vases 1 à 4, d’appellation sémitique, ont été, depuis longtemps, identifiés par Cyrus Gordon dans son Evidence for the minoan language, Philadelphia, Ventnor Publishers, 1966, p. 26.

Au-dessus du vase n°5 est écrit le mot PA-TA-QE. D’après le dessin exécuté par le scribe, PA-TA-QE ne peut être qu’une cuve comme la n°239 (voir image n°3 à partir du haut), ou encore une tasse conique sans anses (voir image n°4 les numéros 1024-1036-1041-1048-1050-1051-1053-1056-1058).

Il existe un verbe patāqu dont le sens premier veut dire former, construire, fondre (voir MALBRAN- LABAT, F., Manuel de langue akkadienne. Lexiques akkadien-français et français-akkadien, dans Publications de l’Institut Orientaliste de Louvain, n°51, Louvain-la-Neuve, 2003, p. 74). Le matériau à former, construire, ou fondre pourrait prendre place dans une cuve comme celle que l’on peut voir sur l’image n°3, la cuve n°239 (hauteur 25-30 cm, diamètre environ 40 cm), quoique les cuves servent, d’après Jean-Claude Poursat et Carl Knappett, à la préparation de la nourriture (POURSAT, J.-Cl., et KNAPPETT, C., La poterie du Minoen Moyen II : Production et utilisation. Fouilles exécutées à Malia. Le quartier Mu IV, dans Études Crétoises 33, École Française d’Athènes, Paris, 2005, p. 189).

A cause de l’importance de la commande ou de la production (3000 vases de ce type), j’ai, en 2007, choisi le second sens du verbe patāqu, à savoir "boire", voir ROTH, M.T. (ed. in charge), with the collaboration of CAPLICE, R.L. e.a., The Assyrian Dictionary, vol. 12, Chicago, 2005, p. 275.

On a, en effet, retrouvé de très nombreuses tasses coniques sans anses (c-à-d des gobelets) de la forme représentée sur la tablette HT 31, dont on peut en voir le modèle, en couleurs, sur l’image n°5 (= la dernière à partir du haut), ou encore, sur l’image n°4 (les numéros pré-cités). Dans le seul bâtiment n°4 de la nécropole de Phourni, à Archanès, situé entre les tombes à Tholos A et B, on a mis au jour environ 250 petites tasses coniques dépourvues d’anses, posées ou renversées (SAKELLARAKIS, J. et E., Crète. Archanès. Les fouilles d’Archanès, Athènes, 1991, p. 88). Au point de vue taille, PA-TA-QE est aussi le plus petit des vases dessinés par le scribe de la tablette HT 31.

Le problème qui gêne les chercheurs, écrit Yves Duhoux (DUHOUX, Y., Un inventaire linéaire A de vases, dans Minos 35-36, Salamanca, 2000-2001, p. 58) est le suivant : « Du point de vue syntaxique, BEST 1989, pp. 5-6, suppose que les noms de vases sont, tantôt au nominatif singulier (finale en…u), tantôt à l’accusatif singulier (finale en …a), ce qui implique une flexibilité syntaxique non impensable, mais néanmoins gênante ("The scribe seems not to have been interested at all in rendering the same cases, either nominatives or accusatives"). Ces obstacles ne sont pas négligeables et devraient être traités de façon convaincante. Il est dommage que ceci n’ait pas été fait jusqu’ici ».

Au cours GLOR 1413 qu’il nous a donné le 04 février 2010 à l’UCL, le professeur Axel Van de Sande nous a dit ceci : « En babylonien récent, "kalba", normalement accusatif, peut être employé pour le nominatif ». Même si elle ne date pas de la même période, "kalba" est une attestation d’une finale en… ade l’accusatif tenant lieu de nominatif (le duel nominatif pluriel est également en… a). « Une autre particularité du babylonien, de l’ougaritique, et de l’éthiopien ancien, a-t-il poursuivi, est que ces trois langues s’écrivent de gauche à droite ». C’est également le sens de l’écriture que l’on peut, généralement, observer sur les tablettes en linéaire A. Le sémitisme de ces 5 noms de vases ne fait aucun doute.

N.B. : L’akkadien se divise en 2 dialectes : l’Assyrien et le Babylonien.

L’image n°1 (à partir du haut) est extraite de GORILA 1, p. 58.
L’image n°2 provient de ROBINSON, A., Lost Languages. The Enigma of the World’s Undeciphered Scripts, London/New York, 2002, p. 197.
Les images n°3 et 4 viennent de POURSAT, J.-Cl. Et KNAPPETT, C., La poterie du Minoen Moyen II : Production et utilisation. Fouilles exécutées à Malia. Le quartier Mu IV, dans Études Crétoises 33, École Française d’Athènes, Paris, 2005, Pl. 13 (image n°3) et Pl. 30 (image n°4).
L’image n°5 est extraite de SAKELLARAKIS, J. et E., Crète. Archanès. Les fouilles d’Archanès, Athènes, 1991, p. 101.

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Oksana Lewyckyj
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