LANGUES, ÉCRITURES, et CIVILISATIONS ANCIENNES

Concernant le linéaire A, le but est triple :
- Montrer qu’il y avait déjà une présence mycénienne / grecque en Crète, dès le Minoen Récent I, et que ces Mycéniens / Grecs utilisaient l’écriture linéaire A pour transcrire leur propre langue.
- Montrer qu’il y avait également une présence hourrite en Crète à l’époque minoenne.
- Vérifier si le linéaire A note aussi une langue sémitique (le cananéen ancien), opinion de Luciano Pavarotti.
Concernant les civilisations anciennes, ce blog ne se limite pas à la minoenne.

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dimanche 27 décembre 2009

Les Étrusques d'Orient. Résumé de la conférence donnée par le professeur Yves Duhoux











Quand on parle d'Étrusques, on songe surtout à l'Italie. Au Vè, VIè, VIIè siècles avant notre ère, l'Italie était une mosaïque de langues différentes : le nord était occupé par l'étrusque, le centre par les langues italiotes (osque, ombrien, mars, èque, volsque, messalien,...), le sud par le grec. On trouve également le celtique dans le nord de l'Italie ainsi que le phénicien. Toutes ces langues s'effaceront devant le latin et l'étrusque cessera d'être vivant au début de notre ère.

Les tombes étrusques nous ont livré d'admirables fresques, comme "le danseur" de la tombe de Tarquinia (voir image n°1 à partir du haut), et objets : "un couple de défunts", les lamelles d'or de Pyrgi (avec un bilingue phénicien), une maquette de foie en bronze sur laquelle sont tracées différentes sections, les noms inscrits étant ceux de divinités. La langue étrusque est une langue merveilleuse car, grâce à elle, beaucoup de gens gagnent leur vie. Elle est déchiffrée depuis plusieurs siècles : il s'agit d'un alphabet grec emprunté.

C'est seulement à partir du IVè siècle av. J.-C. que l'alphabet grec se répand dans la Méditerranée. Il va s'écrire de gauche à droite, ce qui n'était pas le cas au début où il s'écrivait de droite à gauche ou en zigzag. Les Étrusques ont adopté et adapté l'alphabet grec (ex. : 8 = F), mais ignorent les occlusives sonores, le "Β" et le "Δ" [ils les avaient reçues des Grecs, elles sont présentes dans leurs alphabets (voir images n°2 et 3), ainsi que dans les inscriptions les plus anciennes (voir image n°5, c-à-d la toute dernière du bas), mais peu à peu, elles tomberont en désuétude, et pour finir, disparaîtront tout à fait]. Ils ne connaissent également qu'une seule vélaire, la voyelle "υ", bien qu'ils aient aussi reçu le "ο". Nous ne comprenons pas tous les mots du vocabulaire étrusque (certains oui, comme clan = fils, pluriel : clenar, 1 = thu (tou), 2 = zal, ita = celui-ci, tur- (tour-) = donner,...).

La momie de Zagreb (Croatie) est un livre en lin écrit au IIè siècle avant notre ère. Il a servi à envelopper une momie. Avec ses 230 lignes, il est le plus long texte étrusque conservé, l'équivalent de plus ou moins trois pages dactylographiées. C'est un document rituel mais nous n'en comprenons pas le contenu à cause des nombreuses zones d'ombres présentes dans le vocabulaire et la grammaire étrusques. À quelle famille l'étrusque est-il apparenté? Nous l'ignorons. L'hypothèse d'une branche d'une famille indo-européenne, comme l'anatolien, n'est pas admise par tous. Le sumérien, par ex., n'est rattaché à aucune famille connue. C'est une langue orpheline.

En 1886 émergent les Étrusques d'Orient. Les fouilles archéologiques de 1884-85, dans le village de Kaminia (île de Lemnos), ont mis à jour une stèle mutilée qui, entière, aurait mesuré le mètre quatre-vingts. Sur sa face, un guerrier avec un bouclier. Datation : deuxième moitié du VIè siècle av. J.-C., ou le dernier tiers de celui-ci. Elle porte une inscription honorifique ou funéraire, composée de deux textes. Le texte à droite est incomplet. Ces deux textes ont été écrits par deux graveurs différents : les lettres sur la face de la stèle (texte de gauche) sont arrondies, celles présentes sur le côté de la stèle (texte de droite) sont carrées. Le texte de gauche porte, à la troisième ligne les mots "Sialχveis avis", le texte de droite a les mêmes, à la troisième ligne aussi, mais dans l'ordre inversé "avis sialχvis" (voir sur image n°4 les encadrés bleus). Dans les deux cas, il s'agit bien de la langue étrusque.

Nous sommes au VIè siècle et à cette époque existent beaucoup d'alphabets grecs différents. Le sens de l'écriture du texte de droite de la stèle commence à l'extrême droite et va à gauche, puis descend de gauche à droite mais en gardant la tête des lettres en bas. C'est une écriture en boustrophédon. Un dernier signe d'archaïsme : la séparation des mots se fait au moyen d'un, deux, ou trois points.

L'utilisation de la lettre "Ψ" pour noter le "χ" grec (prononcez kh) fait que l'on peut exclure l'Asie Mineure de ce type d'alphabet. En effet, les alphabets orientaux utilisent le "Χ" (la croix de Saint André) pour noter le "χ". Nous sommes devant un alphabet occidental possédant aussi trois lettres inconnues en étrusque : Ο, la manière d'écrire le λ, et la manière d'écrire le Σ [elles appartiennent à d'autres alphabets grecs, voir image n°2].

Les points communs entre le lemnien et l'étrusque :

-Dans les inscriptions funéraires des Étrusques d'Italie, on a souvent l'âge du défunt. C'est aussi le cas sur la stèle de Lemnos.
-4 signes vocaliques en lemnien : "a, e, i, o".
-4 signes vocaliques en étrusque : "a, e, i, u".
-1 seule vélaire en lemnien : "o".
-1 seule vélaire en étrusque : "u".
-Dans les deux langues, le "Β" et le "Δ" sont absents.

Entre la langue de la stèle et l'étrusque, il ya des points communs mais aussi des choses qui les opposent. La langue de Lemnos est soit un étrusque dialectal différent de celui de l'Italie, soit il s'agit-là de deux langues différentes fort apparentées. À l'intérieur de l'étrusque d'Italie, on a aussi des différences entre le Nord et le Sud. La formule de l'âge impose de voir un monument funéraire. "Olagès (= Holaies, voir encadré blanc sur image n°4) a vécu 40 ans (sivai avis sialχvis)". Le reste n'est pas interprétable convenablement. Olagès est un grec d'Asie Mineure.

Au VIè siècle av. J.-C., Hérodote situe dans l'île de Lemnos des Sintiens [Σίντιες, ων (οἱ)], Thucydide, des Thyrrhéniens, c-à-d des Étrusques. Il les rattache aux Pélasgiens. Pourtant, aucun objet étrusque d'Italie n'a été retrouvé à Lemnos !!! Comment expliquer cette bizarrerie? Une importation? Mais la stèle est très lourde et le village est à une heure et demi de marche du littoral ! L'isolement de cette inscription a fait difficulté jusqu'en 1928. Des archéologues ayant fouillé à 10 km de Kaménia ont trouvé six inscriptions écrites dans le même alphabet que celui de la stèle. Il y avait donc dans l'île une authentique population étrusque. Se pose alors la question de savoir pourquoi des Étrusques s'étaient-ils installés à Lemnos?

Au sujet de l'origine des Étrusques d'italie, nous savons que leurs ancêtres directs devaient se trouver dans la population villanovienne. L'émergence a été un phénomène complexe. Les Villanoviens, d'où venaient-ils et d'où venaient les proto-Étrusques qui ont vécu à Lemnos?Voilà deux populations dont le seul point commun est la langue mais dont les deux cultures matérielles sont complètement différentes. Les ancêtres ont dû se séparer avant que ces gens ne s'individualisent. S'il en est ainsi, le point commun linguistique des ancêtres des proto-Étrusques doit se chercher au Xè siècle avant notre ère et peut-être même avant. En ce qui concerne l'origine des Villanoviens, trois scénarios sont possibles :

-Les ancêtres venaient d'Italie, mais il n'y a aucune immigration/émigration perceptible en Italie même (rien n'est entré, rien n'est sorti).
-Les ancêtres venaient de Lydie (Asie Mineure), mais il n'y a pas de points communs entre le lydien et l'étrusque d'Italie.
-Les ancêtres étaient égéens pour Lemnos et lydiens pour l'Italie. L'hypothèse égéenne est séduisante mais elle manque d'éléments probants. Les points communs ne sont pas assez frappants.

L'origine italienne est une hypothèse possible mais mais il n'y a pas moyen de trouver un seul indice. L'énigme reste entière. De nouvelles fouilles pourraient aider.

L'image n°1 (à partir du haut) est extraite de MICHAUX, M., LOONBEEK, R., MORTIAU, J., L'antiquité : * et les débuts du moyen âge, Tournai, Casterman, 7e éd. (histoire et humanités), 1971, p.63.
L'image n°3 (à partir du haut = l'alphabet étrusque n°2) provient du même livre, p. 74.
L'image n°2 (= l'alphabet étrusque n°1) est extraite du cours de grec de Mr Obsomer. La référence bibliographique se trouve sur l'image.
L'image n°4 est un détail de l'affiche de la conférence de Mr Duhoux.
L'image n°5 (l'inscription bilingue étrusque-latin) vient de DEZ, G., WEILER, A., MATHIEX, J., L'Antiquité, l'Orient, la Grèce et *, Paris, Hachette (6è, ISAAC), 1970, p. 185. Remarque : les précisions de ma part sont mises entre crochets dans le texte.

Oksana Lewyckyj (qui espère avoir rapporté fidèlement les propos tenus par son ancien professeur).

Remarque : Pour empêcher la redirection de mon article vers une autre personne sur internet, je me vois contrainte de remplacer, dans ma bibliographie, le nom de la capitale italienne par un astérisque.

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Oksana Lewyckyj
2/503 Voie des Gaumais
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