LANGUES, ÉCRITURES, et CIVILISATIONS ANCIENNES

Concernant le linéaire A, le but est triple :
- Montrer qu’il y avait déjà une présence mycénienne / grecque en Crète, dès le Minoen Récent I, et que ces Mycéniens / Grecs utilisaient l’écriture linéaire A pour transcrire leur propre langue.
- Montrer qu’il y avait également une présence hourrite en Crète à l’époque minoenne.
- Vérifier si le linéaire A note aussi une langue sémitique (le cananéen ancien), opinion de Luciano Pavarotti.
Concernant les civilisations anciennes, ce blog ne se limite pas à la minoenne.

Copyright © Oksana Lewyckyj

jeudi 23 juillet 2009

PARIMA NUI



Lorsqu'il ouvrit les yeux, il ne se souvenait plus de rien, ni même du motif qui l'avait amené à cet endroit. Pourtant, l'escalier était bien là, réel. Il se redressa maladroitement, sa jambe gauche lui faisait mal. Un brouillard léger dansait encore devant ses yeux. Le soleil était perché au zénith et une vague senteur d'hibiscus lui chatouillait les narines. Il esquissa un pas, puis un second en direction de la pierre bleue qui se dressait devant lui. A cette distance, elle ne lui paraissait pas effrayante. Quelques marches y étaient sculptées, une dizaine tout au plus. Un frisson néanmoins lui parcourut l'échine. Il sortit un vague mouchoir de sa poche pour essuyer la sueur qui commençait à perler à son front. Son pantalon acheté quelques jours plus tôt était presque en lambeaux et les trois boutons de sa chemise ne tenaient plus guère que par miracle. Une nuée d'oiseaux multicolores troua le ciel tandis que leurs piaillements aigus se répercutaient d'échos en échos. Il s'assura d'un coup d'oeil inquiet que personne ne l'avait suivi et boita plus qu'il ne marcha à travers la luxuriante végétation. Il heurta au passage quelque chose de gluant et son pied trébucha sur une racine. Son coeur battait à tout rompre et le rythme de son pouls lui martelait les tympans. Une guêpe frôla son visage et il tressaillit. Quelque chose tomba sur le sol. Il se pencha et ramassa un couteau dont la lame de pierre terminait harmonieusement un manche incrusté d'une mosaïque de jade, de turquoise, de coquillage et de corail. Il le regarda longuement. Combien de temps, au juste, il ne le sut mais il se voyait maintenant allongé. Un étrange prêtre, avec dans sa main droite ce même couteau, se tenait devant lui. "Tu dors?, tu dors?", lui demandait-il.
La vision s'estompa pour faire place à un marché. On y troquait des étoffes de coton, des fèves de cacao, des clochettes et des haches de cuivre. Un peu plus loin, dans un petit sanctuaire, s'étalaient des fruits et des légumes, des épis de maïs et des piments, mais il n'y avait pas de poisson cru. Or, il aurait aimé avoir du poisson cru. Il émergea lentement de sa torpeur pour se rendre compte qu'il avait faim. Cocotiers et bananiers s'enchevêtraient devant lui et des milliers de fleurs explosaient de leurs parfums. Il se traîna jusqu'à une taverne, avala une Hinano, écouta brailler une radio locale, se glissa dans une pirogue et s'endormit. Il était maintenant sur un terrain de basket et il jouait. La balle rebondissait légère. Il remarqua qu'elle diminuait en taille et qu'elle rebondissait de mieux en mieux. Le panier également avait changé de position et s'était élevé de quelques mètres. Chose inhabituelle, il était en pierre. Sous ses pieds, l'herbe avait remplacé l'asphalte et il lui sembla que la couleur du ciel avait foncé. Quant à ces deux murs-là qui délimitaient le gigantesque terrain, il ne les avaient pas vus tout à l'heure. Et dans le fond, un escalier bleu. Quelques marches y étaient sculptées, une dizaine tout au plus. "Dis, monsieur, tu dors? C'est mon bateau ! ". Quelques poissons volants avaient atterri dans la pirogue pendant son sommeil et il glissa dessus en s'extirpant. Il bredouilla une vague excuse à l'enfant étonné et s'enfonça dans la forêt. Au loin, retentissait une conque marine.
Un son d'une nature très différente, discordant, se fit entendre, puis un second. Enfin des paroles presque humaines : "Parrrima Nui, Parrrima Nui", suivies d'un grand éclat de rire. Un perroquet vert, au plumage étincelant, dansait devant lui : "Parrrima nui, Parrrima Nui". Parima Nui, ces mots-là, il les avaient déjà entendus, il en était sûr. Il ferma les yeux essayant de se souvenir. L'image d'un ossuaire à crânes se présenta devant lui. Il y en avait dix, vingt, cinquante, peut-être même davantage, impeccablement rangés les uns à côté des autres. Et voici que ces crânes n'en faisaient plus qu'un, hideux dans son expression de terreur, l'orifice nasal traversé par un couteau, son couteau. Il réalisa soudain qu'il avait peur et qu'il fuyait. Il lui fallait atteindre la montagne avant la nuit, avant le début des parties de pêche nocturne. Maintenant, il grelottait de fièvre. Il tâta les poches de son pantalon et trouva un peu de pénicilline. Il en prit. Il marcha encore et encore jusqu'à une vieille hutte de branches et de feuilles de palmiers tressés. Il se fit un lit de feuillage, grimpa sur un petit palmier, y cueillit une noix de coco. A l'aide de son couteau, il en ôta le dessus tendre et déversa dans sa gorge le lait frais et sucré. La nuit s'annonçait longue et douce. On entendait le chant des grillons et les étoiles scintillaient lorsqu'il réussit à allumer un feu. Une bonne odeur de bois brûlé se dégagea. Il pensa à toutes ces choses qu'il aimait, aux vergers de mûriers papyfères, de goyaves et de figuiers sauvages, aux trous creusés dans le jardin dans lesquels cuisaient les langoustes, les bananes et le cochon de lait, aux ballets dessinés par les troupes de jeunes requins bleus - il préférait tout de même ne pas les avoir trop près de lui quand il nageait. Un sourire aux lèvres, il s'endormit.
Quand il rouvrit les yeux, le ciel s'était vêtu d'un or splendide mêlé de mauve et de sang. Les albatros et les goélands passaient en silence. L'aube se levait. Il s'étira paresseusement, prit quelques fruits de l'arbre à pain et se rassasia. Il contempla ensuite le sommet de la montagne et le trouva fort sombre. La montagne presque noire avait ainsi quelque chose d'hostile. Il attribua cette impression à un reste de fièvre et, en sifflotant, descendit de la montagne, bien décidé à retourner auprès de l'escalier bleu. A mesure qu'il pénétrait dans la forêt, l'angoisse revenait. La douleur qu'il avait cru disparue se manifestait à nouveau, moins intensément que la veille, mais suffisamment pour le contraindre à claudiquer. Il savait cependant que c'était le seul moyen de recouvrer un peu la mémoire car, de papiers d'identité, il n'en avait pas, de l'argent, il n'en avait plus. Il avait oublié jusqu'à son prénom. Seuls lui étaient restés ses goûts. Ses gestes relevaient plus de réflexes que d'un comportement appris, il ne suivait plus que son instinct, et il avait quelque part le sentiment d'avoir été choisi.
Des yeux l'observaient toutefois. La peur devenant cette fois obsédante, il se mit à courir. Au bout d'un certain temps, il lui fallut se rendre à l'évidence : il était perdu. Il s'affala contre un tronc d'arbre, épuisé, haletant, et ferma les yeux. Un aigle lui apparut, perché sur un cactus. Et derrière lui, un escalier bleu. Quelques marches y étaient sculptées, une dizaine tout au plus. "Dis, monsieur, tu dors?". Un athlète à la peau brune, souriant, les cheveux crépus et les dents teintées de rouge se tenait debout devant lui. Dans sa main droite, une grosse pierre. C'est à peine s'il eut le temps de voir la main se lever. Il ressentit seulement une violente douleur à la tête lorsque la pierre s'abattit et il perdit connaissance.
Il se réveilla à même le sol, les tibias, les aisselles et les genoux ligotés à une longue perche. Le sang giclait sur son visage et coulait le long du corps. Des préparatifs s'achevaient devant une assemblée curieuse dans ce qui paraissait être l'enceinte d'un temple. A demi-inconscient, il crut voir un énorme tambour. Il réussit à tourner la tête vers la droite, il vit les crânes et il comprit. Tout à l'heure, pendant la récitation du "Parima Nui", hymne liturgique sacrificiel, on lui séparerait la tête du corps et son crâne irait rejoindre l'ossuaire qui se trouvait à côté de lui. Il avait réussi à échapper au dieu Oro une première fois, mais celui-ci l'avait rattrapé dans la forêt. Et toute la nuit, pour apaiser le dieu, résonnerait, au milieu des chants, le sinistre toere, le tambour des sacrifices humains. Du dehors, on ne voyait qu'un escalier bleu. Quelques marches y étaient sculptées, une dizaine tout au plus.

N.B : Les sacrifices humains, tels que décrits ci-dessus, ne prirent fin, dans l'île de Tahiti, qu'avec l'arrivée des missionnaires (jésuites), dans la seconde moitié du XIXème siècle.

N.B (2) : La première image représente un sacrifice humain ayant eu lieu dans l'enceinte d'un temple tahitien (marae), à Atehuru, en septembre 1777. La deuxième image représente le Marae Mahaiatea, sur la côte sud de Tahiti, le plus grand des temples de pierre des îles de la Société.

(Les images sont extraites de l'article de BURENHULT, G., Les monuments de pierre du Pacifique Sud de 1 apr. J.-C. à aujourd'hui. Sanctuaires des dieux et des ancêtres, dans : Le Nouveau Monde et le Pacifique : L'émergence des civilisations, préface de Gordon R. Willoy, traduction de Didier Pemerle, Les Berceaux de l'Humanité, Paris, BORDAS, 1995, p. 172-173).

"Parima Nui"
Le mal du marae est réparé, il a été extirpé, accompagné par le chant.
Le mal du souverain et de la tribu est réparé, notre liturgie a extirpé le péché, la dernière prière a été récitée, et tout est pur.
Voici les plumes de ura, voici le gage de paix de fleurs de coco, voici ton homme longue banane, de la tête aux pieds, des pieds à la tête, pour empêcher la grande croissance de ta colère, ô dieu.
Les grands crimes, la discorde des familles, les paroles imprudentes, l'irrespect envers les dieux, la mousse mal grattée du marae.
La colère cachée dans le coeur, l'éloignement mutuel des amis, les blasphèmes, la destruction par magie, l'envoi des esprits mauvais au compagnon.
Voilà les péchés qui te déplaisent, ô dieu.
Remets-les, place-les sur les longues tiges de bananier que voici, jette-les dans l'océan sans chemins, pour que tes adorateurs soient sauvés.
Ô dieu, remets-les à tes adorateurs, car ils sont maintenant bénis.


(L' hymne liturgique est extrait de BURENHULT, G., ibid., p. 173).

J'avais écrit cette nouvelle pour le concours de nouvelles organisé par le KAP Montparnasse en 2005.

P-S : J'avais publié cet article dans mon ancien blog à la date du samedi 13 octobre 2007 à 20:45 (CEST).

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Oksana Lewyckyj
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